jeudi 21 avril 2011

Une Marseillaise en soutane

L’enseignement du français dans la belle ville de Salta est une tâche qui revient à l’Alliance Française, même si cette dernière préfère investir dans des partenariats commerciaux avec Carrefour que dans la régularisation de ses professeurs.

Cette institution, présente dans plus de 130 pays, a pour objectif de diffuser et de promouvoir la culture et la langue française. Sa fondation remonte à l’année 1883 lorsque Paul Cambon, alors chef de cabinet de Jules Ferry, décide, avec l’aide d’un comité composé de personnalités telles que Ferdinand de Lesseps, Louis Pasteur ou encore Jules Verne, de favoriser l’emprise de la culture française dans l’empire colonial naissant.

Lors de mon arrivée dans cette ville, après m’être restauré pour une somme modique et m’être envoyé une bière locale, je me suis rendu à l’Alliance Française afin de me présenter. Je me suis tout de suite bien entendu avec la secrétaire et je me suis vite rapproché de l’institution afin de donner un coup de main lors des évènements culturels ou encore des examens. J’ai même été catapulté comme co-présentateur chargé de la musique pour l’émission de l’Alliance sur la Radio Universitaire locale[1]. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes...

Jusqu’au jour où une chose étrange s’est produite lors d’une exposition plastique. Toujours prête à défendre l’éducation secondaire, tant qu’il s’agit de celle payante et religieusement prodiguée, elle a ouvert ses portes aux élèves du Collège de la Divine Miséricorde afin qu’ils puissent exposer leurs travaux. Toujours informelle avec les écoles fréquentées par les gens comme il faut, l’Alliance n’a pas jugé utile de demander plus d’informations sur le contenu des dessins qu’elle allait exposer dans son enceinte. Et cela, même après que la stagiaire[2] chargée des évènements culturels ait alerté la direction sur l’ambigüité du titre de l’exposition, « La défense de la vie ».

Comme on pouvait s’y attendre, les dessins n’étaient pas consacrés à lutter contre la peine de mort, la famine, la guerre, la pollution ou encore le racisme mais bel et bien contre l’avortement. Explicites, directs, ils ne laissaient pas l’ombre d’un doute quant à leur message. Et si le dessin n’était pas clair pour tout le monde, une petite phrase explicative venait en remettre une couche : « Oui à la vie, non à l’avortement » ou encore « En-es tu capable ? » à coté d’un dessin représentant un fœtus et un revolver.

Tout était devenu clair. J’avais enfin compris comment fonctionnait cette institution : un comité directeur composé de vieilles bourgeoises conservatrices, des tarifs réservés aux beaux quartiers, un enseignement ultra classique respectant à lettre le contenu des manuels et basé sur les bonnes manières, un président fanatique de Napoléon et du bon maréchal de Vichy, une mauvaise gestion des fonds, une politique culturelle digne des Bronzés et un goût pour l’événementiel des plus vulgaires.

Dans l’une des provinces les plus conservatrices d’Argentine, l’Alliance Française se fond dans le paysage. Créée par l’élite et pour l’élite, elle défend avec vigueur les valeurs prônées par l’Eglise catholique, celles de la famille et du droit à la vie. Pilier d’une oligarchie bien pensante qui tire sa passion de la langue de Molière plus par goût pour les eaux de toilettes que par ses lectures des Lumières, l’Alliance Française de Salta est un reflet de la société féodale dans laquelle règnent sans partage les gros propriétaires terriens et les soutanes.

Avant de conclure, je voudrais préciser que, tout comme Renaud chantait Trois matelots pour « les planqués, les gradés » et non pas pour les braves matelots, ces quelques mots ne sont pas destinés aux profs sous-payés mais bien aux membres de la direction.

                                                                      
[1] Emission de laquelle on m’a  gentiment invité à dégager après des propos sur la politique sociale de Nicolas Sarkozy et sur l’avortement en Argentine...
[2] L’Alliance Française de Salta est friante de stagiaires...ça bosse, ça ne se plaint pas et surtout, ça gagne encore moins qu’un petit Cambodgien qui fait des ballons de foot.

3 commentaires:

  1. Bon ben puisque personne ne commente (comme d'hab) je vais tenter de cacher la misère:
    "Les psychiatres bien dans leurs têtes, c'est comme le père Noël / Les vieilles catholiques, c'est comme celles qui avortent /
    Celles qui auraient dû le faire, c'est comme la mère à Bush /Le pape et ses copains, c'est comme certaines marques de capotes/ Y en a des biiiiiiiiiiens" (j'en connais pas).
    Didier Super

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  2. Merci, merci...Didier Super c'est quand même bien fait !

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  3. Merci pour la note sur les stagiaires. Moins payés qu'un cambodgien mais tellement heureux de contribuer au rayonnement de la culture française =)

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