jeudi 27 août 2009

Le voyage de Karlo Adum

"Dans les broussailles grises et impénétrables, dans cette jungle de mauvaises herbes, étaient disposés tous les cinquante mètres des panneaux avec une tête de mort, avertissant que les terrains étaient minés. Ici, on a un respect particulier pour le symbole de la tête de mort. Ailleurs, ce n'est que le signe d'un danger, ou bien encore l'emblème des pirates, ces sans-logis de la mer qui ont renoncé à tout étendard, ou bien le simple rappel de l'inadaptation adolescente sur les cartables de garçons boutonneux qui, quelque part en Alabama, au Nouveau-Mexique ou au Texas, dessinent des têtes de mort ; ils feraient n'importe quoi pour se faire remarquer et, s'ils échouent, ils s'emparent du fusil automatique de leurs pères - partis chasser le temps d'un week-end des immigrants mexicains, des ours ou des sangliers - puis, dans la cour de leur école, se mettent à abattre une quinzaine de filles et de garçons, jusqu'à ce que, arguant de la légitime défense, bien sûr, un tireur d'élite de la police locale fasse éclater leur petite tête intelligente et obstinée d'une balle dum-dum. Après coup, les têtes de mort dessinées sur leurs cahiers ou leurs manuels de catéchisme sont étudiées et expertisées par les plus renommés des pédopsychiatres qui, en règle général, accusent les jeux vidéo, Clint Eastwood ou Oussama Ben Laden d'avoir provoqué la dégénérescence de l'imaginaire enfantin - alors que les jeunes gens en question étaient simplement frustrés de ce que personne ne leur ait jamais dit qu'ils étaient doués en dessin".

Miljenko Jergovic, Freelander

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